ÉJDLC décrypte l’actualité - John Singer Sargent au Musée d’Orsay : Éblouir Paris

Retour sur l'exposition "John Singer Sargent : Éblouir Paris" du 23 septembre 2025 au 11 janvier 2026 au musée d'Orsay
Le musée d’Orsay consacre une exposition éblouissante à John Singer Sargent en collaboration avec le Metropolitan Museum of Art de New York (The Met). 
Ce peintre américain du XIXe siècle possède une grande renommée aux Etats-Unis où son tableau Madame X est considéré comme « La Joconde du Met ». Il n’est que très peu connu en France alors que le peintre a passé ses années les plus formatrices dans notre capitale. Cette exposition est donc l’occasion de rencontrer ce peintre captivant afin de comprendre comment Paris l’a façonné.
John Singer Sargent naît à Florence en 1856, de parents américains et nomades. Sa mère Mary Newbold Sargent est une riche héritière, artiste amatrice, qui encourage le talent artistique de son fils dès son plus jeune âge. Ainsi, il profite d’une enfance cosmopolite et itinérante à travers l’Europe durant laquelle il se forme à la peinture, notamment en Italie.

Arrivée à Paris

Sargent arrive à Paris en 1874, à l’âge de dix-huit ans, pour étudier avec Carolus-Duran aux Beaux-Arts. C’est à Paris qu’il perfectionne vraiment sa technique en copiant les grands maîtres qui l’ont précédé, tels que Velásquez. Il est également imprégné des influences de Manet et des impressionnistes alors actifs à Paris. 
Il développe un style singulier, mêlant technique académique et virtuosité de la touche et de la lumière. À tout cela s’ajoute un sens inné de la séduction et du mystère, ainsi qu’une grande sensualité qui apparaît sur ses meilleurs tableaux à travers un jeu d’ombre et de lumière. Bien qu’il séjourne à Paris, cette ville moderne ne l’intéresse que très peu. Il n’a peint que deux tableaux qui illustrent la ville, dont Répétition de l’Orchestre Pasdeloup au Cirque d’hiver.
Répétition de l’Orchestre Pasdeloup au Cirque d’hiver, 1879-1880, Boston, museum of fine arts, © MFA Boston

Voyages

D’autre part, tout au long de sa vie, Singer voyage beaucoup, notamment durant sa période parisienne. Il va de Cancale en Andalousie en passant par Capri et le Maroc. Au cours de ses voyages, John Singer Sargent cherche à s’exercer en étudiant des tableaux et des paysages exotiques afin d’en extraire les motifs et de répondre aux goûts du Salon de l’époque.
À Cancale, il illustre la vie quotidienne avec En route pour la pêche qui dépeint les glaneuses d'huîtres dans une composition réaliste avec un travail de la lumière résolument impressionniste qui lui a valu de nombreuses éloges au Salon. 

En route pour la pêche, 1878, Washington, National Gallery of Art, © National Gallery of Art

En Andalousie, il joue avec le noir et le rouge tout en recopiant des chefs-d’oeuvres de Velásquez.

La Danse espagnole, 1879-1882, New York, The Hispanic Society of America, © The Hispanic Society of America

Au Maroc, il s’illustre avec le blanc sur blanc, un exercice très difficile en peinture où il s’agit de peindre du blanc sans vraiment utiliser de blanc.

John Singer Sargent, Fumée d'ambre gris (Smoke of Ambergris), 1880, oil on canvas. Clark Art Institute, 1955.15, Image courtesy Clark Art Institute. clarkart.edu
Enfin, à Capri, il s’inspire de la végétation luxuriante et d’une femme, Rosina Ferrara, pour proposer des scènes envoutantes qui soulignent la beauté italienne et la lumière du Sud.

Jeune Capriote sur un toit, 1878, Bentonville, Crystal Bridges Museum of American Art, © Musée d'art américain Crystal Bridges, Bentonville, Arkansas

Portraits
Retournons à Paris où Sargent s’est rapidement intégré grâce à sa maîtrise de la séduction et sa grande culture ; il ne parle pas moins de cinq langues. Il rencontre « l’élite » de Paris et se crée un réseau qui lui permet ensuite de connaître un grand succès et de recevoir pléthore de commandes de portraits. 
En effet, l’art du portrait est en plein essor dans cette nouvelle bourgeoisie qui a la volonté de se faire voir et surtout de se faire représenter. Ainsi, Sargent réalise les portraits du célèbre dramaturge Edouard Pailleron et de sa famille qui furent exposés dans le salon des Pailleron, formant comme une vitrine de son art. Dans ses portraits, il arrive à cerner la psychologie des personnes qu’il représente grâce à sa technique minutieuse et la rapidité avec laquelle il peint. Dans les portraits qu'il peint durant cette époque parisienne de sa carrière d'artiste, on dénote un caractère étrange voire dérangeant.
Portrait de M. E.P. et de Mlle L.P., 1880-1881, Des Moines Art Center Permanent Collections, © desmoinesartcenter

Des années plus tard, avec son style réaliste et sophistiqué contrasté par ses coups de brosse visibles et son sens de la mise en scène audacieux, Sargent s’impose aux États-Unis où son art rencontre une grande demande de portraits, jusqu’au président Roosevelt lui-même. 
Il réalise tant de portraits, que las d'en faire, il en vient à dire à son ami Ralph Wormeley Curtis : 
« Plus de portraits! Demandez-moi de peindre vos portes, vos clôtures, vos granges, ce que je ferai volontiers, mais pas de visage »

Le scandale !

En 1884, John Singer Sargent obtient l’accord de Virginie Gautreau pour réaliser son portrait. Madame Gautreau, américaine également, est la femme d’un riche banquier installé à Paris, dont la beauté attire tous les regards. C’est la beauté américaine de Paris qui rencontre le portraitiste en vogue de la capitale. La sensualité de Mme Gautreau a constitué un défi pour Sargent qui a mis beaucoup de temps à la capturer. Il n’a jamais réalisé une étude de dessins aussi importante pour un portrait, tant et si bien qu’il a dû repousser l’exposition du tableau au Salon. Celui-ci s’inspire des maîtres du passé tout en bousculant les codes du portrait de l’époque. Il représente la femme avec une palette chromatique attribuée aux hommes, dans une pose qui détourne le portrait pour que l’attention se fixe sur le corps et sur la robe, nous offrant un décolleté plongeant et une épaule dénudée. Les critiques furent si rudes que Sargent corrigea le tableau et replaça les bretelles. Il lui fut reproché une grande indécence, une mauvaise technique tant la peau semblait cadavérique, alors même que c’était l’apanage de cette dame qui se fardait de manière à faire ressortir la blancheur de son teint, légèrement bleuté par ses veines. Intitulé Madame X, ce portrait fit scandale. Il fut finalement vendu au Metropolitan Museum of Art de New York par Sargent, qui le décrivit alors comme « la meilleure chose qu’il ait jamais faite ».
Portrait de Mme ***, dit aussi Madame X, 1883-1884, New York, The Metropolitan Museum of Art, © The Metropolitan Museum of Art, Dist. GrandPalaisRmn / image of the MMA

Lien éternel à la ville lumière

Il finit par quitter Paris en 1886, quelques temps après le scandale de Madame X, pour s’installer en Angleterre, signant la fin de son court séjour parisien. Il rencontra immédiatement un grand succès avec sa première exposition à la Royal Academy avec Carnation, Lily, Lily, Rose. Cependant, il continue à exposer à Paris jusqu’au XXe siècle. L’État français lui exprime sa reconnaissance en achetant La Carmencita en 1892 et en lui octroyant la nomination d’officier de la légion d’honneur en 1897. De surcroît, Sargent garda des attaches en France notamment grâce à son amitié avec Monet et les impressionnistes, avec qui il se mobilisa pour faire entrer Olympia de Manet dans les collections nationales françaises, en soutien au chef-d’œuvre de cet artiste qu’il admirait tant.
John Singer Sargent - Carnation, Lily, Lily, Rose, 1885–6, © Tate, London, 2015

"John Singer Sargent : Éblouir Paris" offre donc à la France une expérience inédite des tableaux les plus célèbres de cet artiste, qui, selon l'écrivain Henry James, ami de Sargent, "offre le spectacle étrangement inquiétant d'un talent qui, au seuil de sa carrière, n'a déjà plus rien à apprendre" à propos du Portrait des Filles d'Edward Darley Boit. C’est de plus l’occasion d’aller admirer Madame X, prêté exceptionnellement par le Metropolitan Museum of Art et visible à Paris pour la première fois depuis 1884.
Par Mattéa Crochet, cheffe de projet pour le mandat 25-26