Au musée Toulouse-Lautrec d’Albi, une exposition captivante rend hommage à un aspect souvent méconnu mais fondamental de l’œuvre de l’artiste : son travail d’affichiste. Intitulée Toulouse-Lautrec et l’art de l’affiche, elle explore un moment charnière de la fin du XIXe siècle, où l’affiche s’impose non plus seulement comme support publicitaire, mais comme un véritable art visuel, populaire, accessible et puissant.
Henri de Toulouse-Lautrec (1864–1901), issu d’une famille aristocratique, souffre de troubles de croissance qui l’excluent des cercles mondains. Installé à Montmartre, il devient un témoin vif et lucide de la vie nocturne parisienne. Son œuvre, aussi brève qu’intense, séduit par sa modernité et son regard profondément humain.
L’affiche, un art à part entière
À l’aube de la Belle Époque, l’affiche entre dans un âge d’or. Elle envahit l’espace urbain, se multiplie sur les murs de Paris, attire le regard du promeneur et marque les esprits. Dans ce contexte en pleine effervescence,Toulouse-Lautrec s’impose d’emblée comme un innovateur. Dès 1891, avec sa célèbre affiche Moulin Rouge – La Goulue, il capte l’attention par son style audacieux, ses silhouettes stylisées, ses cadrages inattendus et ses aplats de couleur. Il devient rapidement l’un des artistes les plus sollicités de son temps pour concevoir ces nouvelles images de rue.
L’affiche devient ainsi un support privilégié de la société de consommation naissante. Elle vante des produits, attire les passants, mais surtout, vend du rêve. Les artistes sont appelés à concevoir des images séduisantes, lisibles et efficaces. Le recours à la figure féminine, souvent idéalisée, y est fréquent, servant à capter l’attention du public et à incarner le produit. Toulouse-Lautrec comprend ces logiques commerciales mais sait aussi les détourner, proposant parfois des compositions énigmatiques où l’objet à vendre disparaît presque derrière une scène de genre ou un portrait saisissant.
“Toujours et partout la laideur à ses accents de beauté. C’est passionnant de les découvrir là où personne ne les voit." - Henri Toulouse-Lautrec
L’exposition met en lumière comment Toulouse-Lautrec, nourri par les influences de l’estampe japonaise et de l’Art nouveau, invente un langage graphique neuf. Il rompt avec la tradition académique pour créer une affiche moderne et percutante. À la fois chroniques de la vie nocturne parisienne et outils de promotion, ses œuvres reflètent l’atmosphère unique des cabarets, des cafés-concerts, des théâtres et des personnages emblématiques comme Aristide Bruant, Jane Avril ou Yvette Guilbert.
La lithographie, cœur de la création
L’exposition consacre également un espace important à la technique de la lithographie, clé de voûte de l’art de l’affiche. Ce procédé d’impression, mis au point à la fin du XVIIIe siècle, permet de dessiner directement sur une pierre calcaire à l’aide d’un crayon gras, puis d’imprimer l’image sur papier. Toulouse- Lautrec en exploite toutes les possibilités : la spontanéité du trait, la souplesse du dessin, ou encore la richesse des textures. Il travaille en étroite collaboration avec ses imprimeurs pour ajuster chaque détail (couleur, typographie, composition) et tirer le meilleur parti des ressources du médium. La lithographie devient entre ses mains un terrain d’expérimentation graphique aussi important que ses toiles ou dessins.
Un héritage toujours vivant
À travers ses affiches,Toulouse-Lautrec n’a pas seulement contribué à bâtir l’imaginaire du Paris de la Belle Époque. Il a aussi posé les fondements de la communication visuelle moderne. Son œuvre a influencé plusieurs générations d’artistes et de graphistes, et ses créations continuent de fasciner par leur audace, leur efficacité visuelle et leur inventivité. L’exposition du musée Toulouse-Lautrec d’Albi nous invite ainsi à redécouvrir un pan essentiel de son talent, à la croisée de l’art, de la publicité et de la culture populaire.
Par Zoé Enjalbert, chargée de communication pour le mandat 2024-2025