ÉDLJC décrypte l'actualité - "Icônes venues d'Ukraine"

Retour sur l’exposition "Icônes venues d'Ukraine" au Louvre-Lens - du 12 septembre 2024 au 16 février 2026.

La question de la protection, des individus avant tout, rencontre l’urgence dans un contexte géopolitique perturbé. La sauvegarde du patrimoine culturel d’une nation en guerre se place au second rang, mais elle met en lumière la notion de « solidarité » entre les musées du monde et rend au terme de « musée » l’ampleur de ses acceptions.

Le Musée national des Arts Bohdan et Varvara Khanenko de Kyiv (Ukraine) prête en ce moment au Musée du Louvre-Lens un ensemble de seize icônes du XVIIe siècle, dont quatre seront exposées dans les salles du musée jusqu’au 2 juin 2025.

Symboliquement placées à proximité des réserves et salles de restauration des œuvres aux murs de verre du musée, les icônes prennent place au sein d’une muséographie double, qui les met en valeur par des panneaux symétriques et épurés bleu-roi, la couleur complémentaire de l’or qui domine les compositions. L’éclairage léger et les assises placées en face des deux icônes de Theodoros Poulakis invitent le spectateur à une cérémonie silencieuse, où se mêlent l’émoi face à cette floraison de détails sur des œuvres de deux mètres sur deux mètres, et la conscience du contexte douloureux qui a porté ces quatre icônes jusqu’à lui. Le public du Louvre-Lens peut d’autant plus sentir le poids d’une telle exposition, lui qui a vu la guerre lui dérober une partie de son patrimoine, et de son identité.

Crédits : Musée du Louvre-Lens.

Ces quatre icônes n’ont jamais été exposées en France, elles sont de véritables chefs-d’œuvre du XVIIe siècle. Les icônes sont des tempera sur bois représentant des images (εἰκών) sacrées, qui permettent de vouer un culte à la personne qu’elles représentent sans distinction entre elle et cette image. Les quatre icônes représentent respectivement Saint Jean-Baptiste, Notre-Dame de la Consolation, Le Jugement dernier et l’illustration de l’hymne à la Vierge Marie « En toi se réjouit ». Les deux dernières ont été réalisées par le peintre crétois Theodoros Poulakis, décisif dans l’histoire des icônes, puisqu’il mêle la tradition byzantine à des influences occidentales. Il est formé en Crète, mais voyage abondamment à Venise, où il accède aux gravures flamandes et à la peinture italienne, ce qui nourrit son style mixte. Les compositions chargées de Poulakis marquent par leur équilibre, et leurs couleurs variées. Sur les quatre tableaux, le travail de la feuille d’or, que ce soit pour les fonds ou pour les nimbes, pare l’œuvre d’une magnificence adhérant à leur usage spirituel, et saisissant le spectateur contemporain.

Le Jugement dernier, Theodore Poulakis, 1661, Tempera sur bois, feuille d’or, Kyiv, Musée national des arts Bohdan et Varvara Khanenk, temporairement au Musée du Louvre-Lens. Crédit : Emma Daumont.

Flanquant les icônes, les réserves du musée, les salles de restauration et des panneaux retraçant le chemin de ces œuvres, depuis leur création, en expliquant leur rôle pour les chrétiens d’Orient, jusqu’à la déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine, révèlent toute l’importance des musées en temps de conflit, leur rôle de préservation des œuvres dans les réserves « refuges » et de transmission de la mémoire par l’exposition. « Icônes venues d’Ukraine » souligne ainsi la mise en place d’un réseau de solidarité entre les musées nationaux du monde. Pour Anabelle Ténèze, directrice du musée de Lens, cette préservation revêt une forme d’intérêt nouvelle en temps de guerre. « Lorsqu’on est en conflit, on s’attaque aux humains, mais on s’attaque aussi très vite aux œuvres parce que les œuvres représentent une part de notre humanité. » Ce sont toutes ces questions autour de ce qui nous constitue en tant qu’humains ; notre art, nos religions, nos croyances, nos combats, notre mémoire, que pose sagement cette exposition.

Enfin, elle est sans cesse actualisée par la situation géopolitique, quand les échanges entre les dirigeants mondiaux laissent peu de place à la notion d’ « humanité ». Mais elle trouvera un écho plus réjouissant dans l’ouverture prochaine du département des arts de Byzance et des chrétientés en Orient au Musée du Louvre de Paris. En attendant, se rendre à Lens est l’occasion de redécouvrir nos bassins miniers, les briques rouges et les chevalets, conscient du devoir de mémoire porté par notre patrimoine et nos musées.

Par Emma Daumont, chargée de développement commercial pour le mandat 2024-2025.