Le 16 février 2025, la maison Philocale, basée à Orléans, a adjugé un bronze de L’Âge mûr de Camille Claudel pour 3,1 millions d’euros, établissant un record mondial pour l’artiste en vente publique. Retrouvée dans un appartement parisien fermé depuis plus de quinze ans, cette œuvre exceptionnelle qui est à la base une commande de l’État, témoigne non seulement de la puissance expressive de Claudel, mais aussi des profondes mutations que connaît aujourd’hui le marché de l’art.
Camille Claudel, issue d’une famille aisée, suit des cours auprès d’Alfred Boucher qui l'intègre à partir de 1882 à un groupe de jeunes femmes sculptrices. Alfred Boucher leur paie un atelier pour qu’elles puissent s’exercer au modelage et aux techniques du bronze. Il recommande Camille Claudel auprès d’Auguste Rodin. Elle rentre dans son atelier en 1895 en étant déjà une sculptrice aguerrie. Rapidement, ils travaillent sur les mêmes thèmes ce qui rend difficile les attributions des œuvres. Une émulation entre les deux artistes qui débouche sur une relation amoureuse.
Une œuvre manifeste, entre autobiographie et mythe artistique
L’Âge mûr est sans doute l’œuvre la plus emblématique et la plus douloureuse de Camille Claudel. Elle s’inspire du Fugit Amor d’Auguste Rodin. Le sculpteur l’aide par ailleurs à obtenir cette commande de l’État. Le plâtre est exposé au salon de 1899 tandis que le premier bronze est visible au salon de 1903. L’œuvre prend la forme d’une allégorie à triple figure : un homme mûr attiré par une allégorie tandis qu’il s’éloigne d’une autre jeune femme nue tendant les bras dans un geste de supplication.. Cette composition, d’une tension dramatique extrême, cristallise les débats intérieurs de Camille Claudel.
En effet, la composition peut se rattacher à son histoire d’amour avec Auguste Rodin. Le bronze représenterait la jeune femme nue qu’est Camille Claudel, essayant de se tenir à Rodin qui hésite encore avec sa première épouse Rose Beuret (1844-1917).
Mais il s’agit d’une lecture plus profonde de la relation amoureuse. L’Âge mûr de Camille Claudel est en fait une œuvre symboliste qui interroge sur les questions d’amour et de dépendance. Elle fût parfois nommée « l’implorante » montrant l’aspect tragique de la destinée. L’homme entraîné par l’âge se penche vers l’avant tandis qu’il tend une main vers la jeunesse mais ne la retient pas. Il voit alors son âme s’arracher sous ses yeux.
La reconnaissance d’une Œuvre longtemps marginalisée
Le bronze vendu à Orléans est un tirage original, réalisé du vivant de l’artiste par la fonderie Siot-Decauville, ce qui en accroît considérablement la valeur historique. Sa réapparition bouleverse la chronologie connue des exemplaires de l’œuvre et offre un cas d’étude rare sur la diffusion posthume d’une sculpture à la fois intime et monumentale.
L’adjudication de ce bronze ne peut se comprendre sans revenir sur la trajectoire biographique et historiographique de Claudel. Longtemps enfermée dans la double-figure de la muse et de la folle, Claudel a vu sa reconnaissance artistique largement cachée par sa relation avec Rodin. Ce n’est que récemment que le public s’est penché sur la richesse de son œuvre, indépendante et novatrice. Cette reconnaissance passe par l’inauguration du musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine en 2017 seulement.
Cette vente du marché de l’art devient ainsi révélatrice d’un mouvement de fond : la redécouverte des artistes femmes, non plus à travers le prisme de leur vie sentimentale ou de leur marginalité supposée, mais pour la qualité plastique, technique et intellectuelle de leur production. Le record atteint à Orléans est à ce titre, moins un simple chiffre qu’un symbole de réparation historique.
Camille Claudel est une artiste qui déploie une sculpture intérieure nous invitant à nous recentrer sur la destinée et sur le monde qui nous entoure. Il ne faut pas oublier que la majorité des démarches artistiques de l’artiste ont été personnelles et qu’elle ne doit pas tout à Auguste Rodin. Camille Claudel était simplement une femme sculptrice passionnée par les tensions de la relation amoureuse, les tourments de la vie et le temps qui passe.
Par Jeanne Danneel, secrétaire générale et responsable du pôle ressources sociales pour le mandat 2024-2025.