Les bronzes khmers sont des témoins majeurs de la production artistique de l’Empire d’Angkor (IXᵉ–XVe siècles). Ces sculptures, souvent destinées aux sanctuaires hindouistes ou bouddhiques, incarnent un savoir-faire métallurgique de haut niveau, associé à une forte charge symbolique et religieuse.
Parmi les pièces majeures, le Vishnu du Mébon occidental occupe une place centrale dans le parcours de l’exposition, car il est présenté pour la première fois dans son aspect le plus complet possible à l’occasion de cette exposition. Cette statue monumentale, datant du XIᵉ siècle et attribuée au règne de Suryavarman Ier, provient du sanctuaire insulaire du Mébon occidental ; ce dernier est en effet édifié au centre d’un vaste réservoir d’eau, le baray occidental d’Angkor. Le Vishnu, haut de près de 3,50 mètres, était originellement couché, dans une posture rare : il reposait sur le serpent Ananta, figure cosmique du repos divin. Sa taille et son emplacement au cœur d’un réservoir sacré traduisent la fonction cosmologique du monument, où le dieu incarne l’axe de l’univers et l’ordre du monde.
Si aujourd’hui seules certaines parties de la statue sont conservées, l’analyse stylistique et les traces d’assemblage permettent de restituer la monumentalité de l’œuvre. Le rendu puissant des volumes, le modelé subtil des muscles et la sérénité du visage illustrent l’apogée de l’art du bronze khmer à la période classique. Les études métallographiques ont montré que la composition de l’alliage est homogène et d’une qualité exceptionnelle, signe d’une planification technique rigoureuse.
Si la grande majorité des sculptures khmères parvenues jusqu’à nous est réalisée en pierre, de nombreux témoignages archéologiques et épigraphiques attestent de l’importance des images métalliques dans la production artistique et le culte. Exécutées en or, argent ou bronze, souvent dorées, ces effigies occupaient fréquemment la place centrale dans la cella des temples, incarnant la divinité principale du sanctuaire. Leur grande valeur les a cependant rendues particulièrement vulnérables aux pillages, ainsi qu’aux refontes, qui étaient pratiquées couramment afin de créer de nouvelles images conformes aux besoins ou aux goûts d’une époque donnée. La taille des pièces déterminait leur fonction : les statues monumentales servaient d’images de culte fixes, les œuvres de dimensions intermédiaires pouvaient être portées en palanquin lors de processions rituelles, et les statuettes de petite taille relevaient généralement d’une piété domestique ou votive. Moins nombreuses que les sculptures en pierre, les œuvres métalliques offrent parfois une iconographie plus lisible, notamment grâce à la préservation d’attributs spécifiques, surtout sur les modèles de petites dimensions, qui permettent des identifications plus précises des divinités représentées. Ainsi, la sculpture de Ganesha du XIIIe siècle est reconnaissable par sa tête d’éléphant et sa défense tenue en main, prête à écrire le Mahabharata.
L’exposition met en lumière la diversité iconographique de ces œuvres : figures de divinités hindouistes telles que Vishnu, Shiva ou Brahmā ; représentations bouddhiques, notamment du bodhisattva Avalokiteshvara ; figures protectrices ou animales issues du panthéon local. Les sculptures présentées montrent la diversité des bronzes et de leurs fonctions : ils pouvaient être supports de dévotion, en représentant directement le dieu ou la déesse, ou participer à sa dévotion.
Par Dorine Gautier, cheffe de projet pour le mandat 2024-2025.